Citation tiré de la revue “Ville et résistances sociales” n°38/39, 2008, des éditions Agone. J’ai ici relevé les passages qui m’ont particulièrement parlé mais je vous encourage à aller lire l’article entier. Note, les passages en gras sont de mon fait.
Et je mets cet article en résonance avec cette vidéo “4 ways to make a city more walkable“. Bonne lecture et bon visionnage.
« L’hégémonie politique de la petite et moyenne bourgeoisie qui caractérisa la defferisme se traduisit par un discours axé sur le mono-développement du secteur tertiaire et par la volonté de constituer une image de la ville qui lui soit adapté. [….]
La plupart [des trois cents PME] devaient disparaître dans les années suivantes ou passer sous le contrôle de groupe étrangers, grands bénéficiaires de l’aménagement de la ZI. Bien plus que d’un transfert d’activité de la ville à la banlieue, il s’agit d’un transfert de pouvoir, le déplacement géographique soulignant le déplacement du rôle dirigeant en matière industrielle : celui-ci passait des sociétés locales autofinancées aux sociétés délocalisées à forte concentration capitaliste. [….]
Des sociétés opérant à l’échelle mondiale n’avaient aucune raison d’installer des bureaux dans une ville devenue périphérique ; la gestion des usines de Fos se fait à partir de métropoles, à Paris, Londres ou New York, pas au bord de la Méditerranée. [….]
Le modèle de développement exprimé à la fois dans le gigantisme industriel de Fos et dans l’urbanisme fonctionnaliste entra en crise à son apogée, mais il avait réussi à accomplir une rupture irréversible dans l’espace, désormais organisé à une échelle insaisissable par ceux qui y vivaient. [….]
Tout ce qui constituait le tissu social, urbain et culturel des communes de la mer de Berre avait fini par se déchirer. Marquant une discontinuité radicale, les grands ensembles HLM et les zones pavillonnaires s’étaient constitués comme autant d’entités closes où l’on vivait à l’écart des noyaux urbains ou villageois préexistant. À la rudesse de la vie traditionnelle s’était substitué le confort domestique d’une existence solitaire, loin des autres et de son environnement. [….]
Autoroutes et supermarchés avaient dessiné le nouvel espace dans lequel il faudrait s’habituer à vivre. Le rapport des hommes à l’environnement était désormais médiatisé par l’automobile, rendue obligatoire comme moyen de transport en semaine et comme moyen d’évasion dominicale. [….]
Venant d’une ville où la diversité du tissu urbain unifiait les différents aspects de la condition ouvrière, ces Marseillais percevaient dans le modèle vitrollais, fondé sur le zonage, un système d’isolement et de séparation sociale. [….]
La ville résultait d’une patiente accumulation, dans laquelle des formes et des fonctions multiples avaient réussi à se combiner. À plus forte raison les villes maritimes, caractérisées par l’attraction centripète du Port : pendant près de mille ans, des personnes aux origines et aux activités diverses s’étaient mélangées au cœur de ces villes qui ne connaissaient guère la ségrégation résidentielle, et cette mixité engendra une culture urbaine encore plus affirmée que dans les villes continentales. [….]
Les deux éléments solidaires qui organisaient l’espace de la ville, la rue et l’îlot de maisons ont été remplacés par la rocade et la zone. Dans le tissu néo-urbain qui s’étale autour des villes depuis cinquante ans, c’est la voie d’accès qui organise l’espace urbain, ensuite découpé en zones. [….]
La construction en îlots avait tracé le cadre de la vie urbaine par les relations qu’elle permettait d’établir entre intérieur et extérieur ; les façades se trouvaient ainsi à la charnière de la demeure et du passage, constituant l’environnement de la ville. Cette relation entre le bâti et la voirie se trouva également désarticulée par le zonage. À la rocade autoroutière fit alors écho le bâtiment isolé, entouré de vide [….]
Si la première vague d’occupants de ces cités avait connu l’euphorie du confort moderne accessible à prix modique, ceux qui avaient eu la disgrâce d’y naître allaient se révolter à l’idée de devoir y passer leur vie : ce fut sous l’aspect sauvage de la délinquance juvénile que s’exprima la remise en cause de l’urbanisme fonctionnaliste. [….]
Les cités-dortoirs avaient été conçues pour des habitants ayant une occupation professionnelle et une voiture. [….]
Ramener le « malaise des banlieues » à un simple manque d’équipements sociaux permettait de ne pas mettre en cause l’inhumanité de l’urbanisme. [….]
Mais aux investissements lourds de la construction succédèrent des frais d’entretien prohibitifs (ascenseurs, aération, chauffage, nettoyage des parties communes, etc.) qui eurent tôt fait d’excéder les capacités de gestion des offices HLM, de sorte que ces immeubles se dégradèrent rapidement, accélérant la fuite des moins démunis. [….]
Le comble est que les grands ensembles sous-utilisent l’espace tout en donnant à leurs habitants une sensation d’entassement ! Les mêmes personnes qui avaient pu cohabiter ailleurs ne pouvaient plus se supporter ici [….] »
Alèssi Dell’Umbria
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